XVIIe siècle
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Genre dramatique pour lequel les catégories classiques de la poétique sont inadaptées, la comédie a été perçue par une longue tradition critique comme un art relevant «purement du génie», sans règle ni méthode. Afin d’y apporter un brillant démenti, cet essai dégage les principales techniques de composition et les modes de fonctionnement des comédies de Molière. Au cœur de l’âge classique, celui-ci invente une manière de structurer la fiction qui rompt avec les fondements mêmes de la poétique aristotélicienne. Selon Jean de Guardia, c’est la notion de répétition qui se trouve au centre de ce dispositif. Le procédé stylistique n’est en effet chez Molière que la partie apparente d’un système d’écriture plus général, qui concerne tous les éléments de la dramaturgie, et notamment les grandes structures de la fable comique. Dès lors, le principe du théâtre ne consiste plus à engendrer de la différence (et, ce faisant, l’attente permanente du spectateur) par l’enchaînement nécessaire ou vraisemblable des événements, mais bien à créer de la similarité (c’est-à-dire la reconnaissance permanente) au moyen de la répétition.
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Arbitre sans tribunal, diplomate sans ambassade, mondain sans titre, poète enfin sans œuvre majeure jusqu’à la publication tardive de sa «Pucelle» en 1656, Jean Chapelain (1595-1673) fut cependant le plus important et le plus écouté des critiques et des théoriciens littéraires du XVIIe siècle. Celui qui fut l’ami et le correspondant de Balzac, l’un des fondateurs de l’Académie française, et le principal interlocuteur de trois ministres dans la genèse du classicisme n’a jamais composé de traité de poétique. Dispersée de préfaces en lettres privées, et de libelles en projets d’ouvrage, la pensée littéraire de Chapelain n’en possède pas moins une indéniable cohérence, qui apparaît à la lecture de ses «Opuscules critiques». Habile à faire pour lui-même les choix les plus avantageux, et pourtant convaincu du pouvoir de la littérature à dire et à changer le monde, Jean Chapelain s’y montre sans cesse au croisement de la plupart des lieux réels et symboliques où se déterminèrent tour à tour les grandes orientations de la création littéraire.
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Les imitations françaises du théâtre hispanique du Siècle d'Or connurent, entre 1630 et 1660, un épanouissement paradoxal compte tenu de leurs divergences esthétiques respectives. Brossant le contexte culturel dans lequel s'inscrit ce mouvement d'imitation et rappelant les caractéristiques de la comedia, Catherine Marchal-Weyl étudie les personnages dans les tragi-comédies et comédies de trois auteurs en l'occurrence représentatifs : Rotrou, Boisrobert et Scarron. Les transformations dont ils affectent leurs modèles soulignent que leur intérêt tient à l'exaltation des valeurs nobiliaires, à travers une dramaturgie des fausses apparences construite autour du déguisement d'identité. L'adaptation de la comedia en dénature ainsi la structure, modifiant l'équilibre des personnages, qui tendent à devenir des caractères. Enfin sont mises en évidence l'évolution et les constantes d'une vague d'adaptations qui nourrit, sur les plans structurel et thématique, le renouvellement du théâtre français du premier XVIIe siècle, et dont l'examen permet de dégager des préceptes de bienséance et de vraisemblance, communs aux deux théâtres, des conceptions opposées de l'illusion dramatique.
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Le dernier volume de la Correspondance de Fénelon enrichit notre documentation par l'édition des nombreuses lettres apparues depuis 1972, quand a débuté l'entreprise éditoriale de Jean Orcibal, Jacques Le Brun et Irénée Noye, que ce soit dans des bibliothèques en cours de consultation, dans des fonds d'archives récemment ouverts aux chercheurs - par exemple les archives du Saint-Office explorées par le regretté Bruno Neveu -, ou dans les ventes publiques de ces dernières décennies. A ces documents nouveaux sont jointes les lettres qui, ne portant mention ni de date, ni de destinataire, n'avaient pu être publiées à leur place dans les tomes précédents : ce sont essentiellement des missives du plus haut intérêt pour mieux connaître la spiritualité de l'archevêque de Cambrai. Elles illustrent également le tarissement progressif de la forme épistolaire dans les correspondances et la transformation progressive de ces dernières en traités et en opuscules spirituels. Une importante liste d'errata complète l'ensemble et vient corriger nombre de détails dans les lettres et dans les notes des dix-sept premiers tomes. Avec ce volume de compléments, nous disposons de l'édition de référence d'une des correspondances les plus importantes du XVIIe siècle, celle d'un grand écrivain, théologien et auteur spirituel, qui fut mêlé à tous les débats religieux, intellectuels et politiques du siècle de Louis XIV.
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Lorsque Charles Sorel publie sa Description de l'île de Portraiture et de la ville des Portraits en 1659, la « fureur » de se faire peindre a gagné le milieu mondain, tandis que de nombreux écrivains s'adonnent à la manie des collections de tableaux. Parallèlement, la mode du portrait littéraire atteint son apogée. Sorel témoigne de cet engouement en traçant le parcours d'un « curieux », Périandre, dans une île peuplée de portraitistes « de toutes sortes ». A l'observation de ces artistes se juxtapose la satire de leurs vaniteux modèles, dont le corps travesti et le visage masqué n'attendent qu'à être découverts et ridiculisés.
Les extraits que publie Martine Debaisieux en annexe à son édition indiquent que la production romanesque de Charles Sorel privilégiait déjà la portraiture. Mais, dans son voyage imaginaire, où se mêlent fantaisie et critique, l'auteur va plus loin. S'il révèle une fois de plus les vices de son siècle, il expose aussi ouvertement les impostures de la mimésis et le mensonge des « figures » - qu'elle soient tracées par la plume ou par le pinceau.
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Education, Transmission, Rénovation à la Renaissance regroupe les actes d'un colloque organisé du 3 au 6 décembre 2003 par le CRCI (Centre de Recherche sur la Circulation des Idées) et le GADGES (Groupe d'Analyse de la Dynamique des Genres et des Styles). La double approche philosophique et littéraire, sous le patronage de Madame Jacqueline de Romilly qui ouvre les travaux, s'intéresse à la permanence de l'humanisme à travers sa dimension la plus fondatrice, l'éducation. Éduquer, transmettre, rénover, tels ont été les maîtres mots d'une réflexion destinée à éclairer le débat actuel sur l'humanisme. Que partageons-nous avec les humanistes de la Renaissance ? Peut-être une même expérience de la rupture dans l'éducation et dans sa transmission. L'imprimerie et Internet bien sûr, chacun en leur temps, conduisent à penser cette transmission comme un enjeu spirituel et intellectuel central. La puissance de la nouveauté, il faut se l'approprier et l'articuler avec les ressources du passé. L'humanisme est riche de toutes ces réformes, rénovations, retractatio et repastinatio, et autres formes de restitutions qui n'expriment que le libre exercice d'un pouvoir critique qui seul permet à une culture née dans des conditions données de formuler une prétention à l'universalité.
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L'année 2004 a été notamment marquée par le trois centième anniversaire de la mort des deux plus grands prédicateurs français Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704) et Louis Bourdaloue (1632-1704). Poursuivant ses recherches sur la dynamique des genres, le GADGES publie les actes du colloque tenu à Lyon en octobre 2004 sur l'éloquence religieuse en France au XVIIe siècle. Bien des voies y ont été explorées : on a ainsi montré qu'avant Bossuet, des orateurs de talent avaient ouvert le chemin (Du Perron, saint François de Sales). A l'époque où parlait l'évêque de Meaux s'exprimaient aussi d'autres grands prédicateurs - Bourdaloue, Mascaron, en attendant Massillon, et surtout des prédicateurs protestants. Enfin, plusieurs communications ont été consacrées à l'étude de la théorie et de la stylistique du sermon au XVIIe siècle. Du Temps des beaux sermons se dégage une problématique féconde, en particulier sur les rapports entre la rhétorique et l'éloquence sacrée : la vérité chrétienne nécessite-t-elle le support profane des sortilèges de la rhétorique ? Dans ce monde imparfait, marqué par le péché et le mythe de la Tour de Babel, le prédicateur se voit contraint de situer son propos dans un espace incertain, à mi-chemin entre la transparence et la théâtralisation, entre l'absence et la présence, entre le vide et l'éclat. Assurément, le sermon est l'un des genres les plus fascinants, à la fois objet esthétique et moment liturgique. De cette tension naît un discours à la fois attendu - puisque le contenu est fixé par le dogme catholique ou la familiarité protestante avec la Parole de Dieu - et toujours surprenant, hésitant entre une formulation ornée et une expression véhémente.